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LA CULTURE EST-ELLE SOLUBLE DANS LA POLITIQUE ? (2011)
LA CULTURE EST-ELLE SOLUBLE DANS LA POLITIQUE ?
BLOC-NOTES, n° 299,
mai 2011
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LA CULTURE EST-ELLE SOLUBLE DANS LA POLITIQUE ?


La question peut paraître criminelle par les temps culturellement corrects qui nous courent par le système ! Et pourtant...

À l'heure où, dernier gadget de communication de notre Ministère de la culture "on" nous balance (discours de Frédéric Mitterand, 19 janvier 2011) la culture pour chacun en vilipendant la culture pour tous, et après le Rapport Pfister & Lacloche de septembre 2010 où la langue suffit à assassiner les idées justes (morceau choisi page 5 : "...Le premier point de notre action concerne cette frange de la population éloignée de la culture car oubliée des politiques culturelles en l'absence d'adéquation à aucun critère normatif : ...") ; à l'heure où le mot culture n'est plus guère que gargarisme dans la bouche de nos politiques, il nous semble urgent de rappeler quelques principes pour nous intangibles.

Les aspects de la culture étant par essence de contours aussi flous qu'ils ont de tentacules il n'est pas inutile de préciser celui qui nous tourmente en ce moment en liaison avec les arts plastiques. Nous avons en France, dans l'absolu, la chance d'avoir un ministère de la Culture qui, comme Polichinelle, a trois missions en charge : conservation, éducation, création ; c'est quelque part entre les deux dernières que le bât blesse car, si l'on s'en tient à respecter la seule réalité intangible de toute activité humaine, celle du terrain, on est, politique aidant, très loin du compte.


Ah le terrain ! Vague abstraction, ou pire, contingence vulgaire dont il faut faire abstraction, pour quelques uns ; calvaire quotidien pour tant d'autres. Ici, soyons bien clair,
nous ne voulons connaître de terrain que celui, bien réel, commun aux artistes et au public, qui vivent au jour le jour d'aujourd'hui.

Et la culture ? Oublions l'aspect "climat", ce fonds où se mêlent folklore, cuisine, connaissances, pratiques et habitudes de tous ordres, et concentrons-nous sur l'aspect culture "objet". Celui-ci englobe tout objet réel – et même désormais virtuel – de toutes origines, sortes ou qualités, et disponible par essence pour un éventuelle transaction... Et cela va du théâtre au fanzine, du slam au ballet, de l'exposition à... Éventail grand ouvert. Les arts plastiques relèvent de la culture objet, tout y est susceptible d'échanges financiers...

Et la politique dans tout ça ? Elle intervient au niveau national dans les diktats d'objectifs ministériels où les hautes sphères, aux ballons d'idées, grandes parfois mais si rarement gonflées aux aspirations de "notre" terrain, s'appuient sur des rapports* et autres études** qui ne tiennent pas compte – en dehors de mots passe-partout – de la véritable réalité terre à terre de ce terrain, celui des artistes et du public qui, à leurs yeux, n'est justiciable que du plus affiché dédain, véritable insulte au demeurant. Et c'est, plus proche de nous, dans ce climat oppressant qu'interviennent au niveau local les décisions que sont amenées à prendre les élus – et autres décideurs ou partenaires dans l'exercice de leurs fonctions – qui ont à gérer, en particulier, la commande publique.


Les diktats et décisions des sphères de l'en haut, parés d'expertise autoproclamée, jouent sur le velours pour s'imposer à ceux qui ne sont pas des leurs. Ils savent, nous non : leur parole est donc vérité. Eux sont la modernité : nous sommes donc les attardés de la ringardise. Cela fonctionne à la perfection : quel est l'élu, ou le citoyen, qui en "sait" autant sur la culture que ceux qui en ont fait leur métier, et qui peut se permettre de contester ouvertement leur "parole de vérité" ? Dans ces conditions quel élu, quel citoyen, peut bien résister au rouleau compresseur de la modernité pour la modernité ? Et puis, comme toujours et partout, le côté du manche, même au prix de quelques couleuvres avalées, ne manque pas d'attraits : entre ringard dédaigné et zélote valorisé, il peut être difficile de choisir, suicidaire même !

Quel élu donc, "victime" des aléas du jeu de chaises musicales des responsabilités électives, pourrait tout savoir dans le domaine qui peut être le sien à un moment donné ? Être à la hauteur de sa fonction ne peut consister qu'à s'entourer de personnes de confiance qui, elles, sont au fait du domaine qu'il a le devoir de gérer. Mais qui choisir ? Le représentant "expert" de l'institution est bien tentant parce que sécurisant et valorisant ; celui qui est quelque peu du métier, qui grenouille autour du pouvoir et qui sait si bien camoufler ses grandes dents qui raclent le plancher ; celui dont c'est tout simplement la vie et qui n'a rien de la grenouille ; le public ? L'élu a besoin du premier pour tout ce qui concerne ce qui est mesurable : en termes de chiffres, de budgets, de procédures... Et des derniers pour le sens... Cela suppose de sa part une volonté de discernement courageuse et difficile à mettre en oeuvre : remettre les sirènes de l'institution à leur place, choisir d'aller écouter l'avis du terrain citoyen, public et artistes, n'ont rien de culturellement correct... Pour un élu, lorsqu'il s'agit d'art, se considérer vraiment comme citoyen porte-parole de ses frères et soeurs en citoyenneté serait-il aujourd'hui trop politiquement incorrect, et exiger de l'art-ocratie officielle un peu plus de décence envers ceux qu'elle considère comme de retardés art-nalphabètes serait-il si impensable ?


On est bien loin du compte en ce début de 2011 et nous sommes, à Lyon, en pleins travaux pratiques ! Deux opérations sont en cours...

"Le projet 8e Art est lancé... ...Une vaste séquence artistique le long de la ligne T4." (Métro, 14 décembre 2010). Nous avons eu le loisir de suivre ce dossier d'assez près, il nous hérisse le poil, entre autre par le simple fait que dans une région comme Rhône-Alpes et une ville comme Lyon, les décisions ont finalement été pilotées de Paris par le Ministère de la culture qui a choisi son commissaire et fait le choix d’artistes en interactivité avec lui... Bel exemple de décentralisation ! Et puis pour quel résultat ? La modernité pour la modernité a encore eu raison du sens ! Sur les quatre premiers projets que nous avons pu voir de près l'un est d'une spectaculaire inutilité : une intervention à 150000 euros pour les quelques photos qui en resteront, c'est un peu fort de café ; pour les trois autres : bof ! Maintenant nous attendons de voir les suivants ...en espérant...

Et pour "Les berges de Saône" on remet le couvert en allant chercher une agence (Art Public Contemporain) à Paris pour "...« le plus grand projet d’art public en Europe, voire au monde » assure Jérôme Sans,...", le pilote désigné, dans Libération (8 février 2011) . C'est sous ÇA qu'on nous noie, incultes Lyonnais y compris artistes, totalement balancés par-dessus bord, qui avons tous appris la chose alors que tout était ficelé. Bel exemple de démocratie républicaine ! L'article se termine bien par : "...les projets présentés sont au stade de l'intention ; ils vont désormais s'affiner en fonction des contraintes de l'aménagement et des réactions des habitants...", mais n'est-ce pas déjà trop tard ? Ces derniers seront-ils seulement entendus, et sur quel infime détail ?


Pour couper court, comment pouvons-nous conclure ? N'y allons pas par quatre chemins et osons affirmer que ce n'est pas l'Art contemporain (expression détournée de son sens par une certaine f[r]action de la Culture) qui compte, mais l'art des contemporains ; il est grand temps que l'on s'en avise. Osons affirmer que ce n'est pas la commande publique qui est en cause, mais la manière dont il en est fait usage. Osons suggérer qu'il est temps pour tous et chacun de reprendre pied : une noyade, même programmée, n'a pas vocation à épouser la fatalité.


NOTES

*- L'un des derniers rapports en date : Diffusion et valorisation de l’art actuel en région. Une étude des agglomérations du Havre, de Lyon, de Montpellier, Nantes et Rouen (janvier 2011) serait presque une exception dans la mesure où il fait un état des lieux fort honnête (cependant, limiter la MAPRA à un "...lieu d’information et de ressources pour les artistes..." est quand même légèrement réducteur !), mais ce n'est qu'un constat de faits, une sorte de maquette lisible de la réalité, et seulement en termes de rapports financiers, de réseaux, de parcours... Comment un élu en recherche d'information peut-il l'interpréter ? Il est difficile de ne pas penser que de la maquette au modèle il n'y aura qu'un pas... Il y a grand danger que ce constat ne devienne prescription .

** - Dernière minute ! Une autre étude vient de sortir du chapeau ministériel sous le titre Culture & Médias 2030. Prospective de politiques culturelles (26 mars 2011) consultable à l'adresse : www.culturemedias2030.culture.gouv.fr. Trop tard pour que nous puissions faire autre chose que de le parcourir ; nous avons pu en revanche en lire une critique sous la plume de A. Rouillé (Paris-art éditorial, 31 mars 2011, n° 350) dont voici quelques bribes mises bout à bout : "...Alors que l'on attendait... ...une analyse précise... ...on nous sert trois bonnes grosses dynamiques: «la globalisation, la mutation numérique, les rapports entre individualisme et société..." ; "... à la section «Enjeux»... ...là aussi, la lecture laisse perplexe... ...les textes sont vagues, généraux et cotonneux, à la limite des lapalissades..." ; "...Fallait-il mettre en branle tout un arsenal prospectif — et un budget non précisé — pour aboutir à des propositions que la société ne cesse de réclamer?..." Restons en là, rien ne vaudra jamais un original in extenso !


Martian AYME de Lyon (avril 2011)