SENSIBLE, S’ART’STENIR ?
Au moment où le centre Pompidou présente « Dionysiac » (dont il a « produit » lui-même une partie des œuvres) dans un inculte faux sens qui réduit le mythe grec de Dionysos à un décor de comédie de pisse et de caque. Au moment où par ailleurs un peu partout le mot « sensible » est affublé d’un double sens flottant, grand creux d’arriéra... mer calme de nova... tion, au gré des gloses. Au moment où dans notre merveilleux monde de l’art, chez ceux qui s’édictent contemporains, les mots s’enivrent d’eux-mêmes jusqu’à la lie, jusqu’à griser les notices, sinon les œuvres, un petit rappel pourrait se révéler utile.
Pour ces tenants d’une contemporanéité dont, par décret ils s’arrogent l’exclusivité et l’exégèse, tout ce qui pourrait relever du « sensible » ne peut faire allégeance, quand il s’agit des autres, qu’à l’arriération d’un beau dépassé et n’exprime à leurs yeux condescendants que la sensiblerie d’esprits systématiquement égarés, attardés, indignes de la moindre attention, du moindre respect ; la novation, elle, serait leur et n’habiterait que leur propre sensible, sensible non des sens, mais de concepts passés à leur crible... esprits forts, factice détournement, intolérables et exclusives certitudes...
Il y a belle lurette que le beau ne fait plus l’art, et c’est tant mieux. Une œuvre d’art est d’abord un objet, au sens le plus large, spectacle, installation, écrit, volume, pièce musicale, peinture, vidéo, performance,... Ce n’est pas l’apparence d’un quelconque beau fluctuant au gré des modes qui a jamais fait d’un objet de son temps une œuvre qui résiste au temps ; c’est l’aboutissement d’un lent et mystérieux « faire », fondu au creuset du hasard d’échanges entre Dionysos et Apollon, profondément enraciné dans la contemporanéité et qui parle aux sens, pure alchimie d’une transmutation qui de l’être mène à l’œuvre... Et non pas l’élaboration combinatoire d’un « produire » aux ordres d’un discours chez ceux qui parlent si bien des artistes en termes de « produits », terme entendu lors d’un récent CIPAC ***, dans le sens et comme synonyme d’artiste !
C’est le mystère du sens cohérent de l’œuvre issue des sens en éveil de son créateur, et de son intellect, et la mystérieuse cohérence ressentie par celui qui se trouve en sa présence, qui fondent la qualité de l’œuvre. Qu’il soit loisible de chercher à mieux en pénétrer l’essence pour la mieux ressentir en tentant d’en décoder au moins en partie le mystère, rien n’est plus justifié. Vouloir en imposer une... sa... « la » vision décodée « prête à l’emploi » est d’une prétention rare. Vouloir faire accroire qu’il suffit de coder n’importe quelle invention de l’esprit pour faire œuvre n’est qu’arrogance pitoyable, manipulation, navrante confusion verbale entre le « faire » et le « produire »... De l’œuvre à tout prix vouloir exciser le mystère est pur non-sens.
En art, l’œuvre est issue des sens, et parle aux sens, en cela elle participe pleinement du sensible ; elle est en même temps et dans son principe même le fruit d’un exercice de facultés mentales qui en fondent et viennent en affiner le sens, elle côtoie en cela l’intellect (et pourquoi pas la philosophie), elle le côtoie seulement. L’essence de l’art est dans cette dualité, à trop vouloir en abstraire le sensible c’est l’art qui trop souvent s’évapore.
*** CIPAC : Congrès interprofessionnel de l’art contemporain.