L'ART À L'EXCÈS
L’art, dans ce qu’il a de meilleur est la conjonction à divers degrés d’êtres écorchés vifs ou parfaitement maîtres de soi, de la maîtrise d’un métier ou de plusieurs métiers appris ailleurs ou surgis d’eux-même, d’une ambition ou d’une modestie sans bornes ; d’un milieu, de conditions tout particulièrement propices ou hostiles, de l’opulence ou du dénuement, de la reconnaissance ou du rejet ; du décoratif le plus athée ou du symbolisme le plus religieux ; de la rencontre d’un être avec une époque, une histoire, des lieux, des êtres tout particulièrement fébriles ou contemplatifs...
Pour simplifier, l’art n’est qu’un accident rendu possible à une époque donnée par la conjonction d’un certain nombre de ces facteurs en proportions diverses ; accident heureux qui donne à l’esprit de temps oubliés ou plus récents forme visible, accident qui est perçu, à tort ou à raison, comme représentatif de ceux-ci ou de ceux-là... Souvent d’ailleurs parce que ce qui relève de l’art est la seule trace qui reste des premiers !
Conjonction dans l’excès, jamais dans la médiocrité.
Conjonction dans l’excès surgi du fond de l’être, comme à son corps défendant, jamais dans l’imitation, jamais dans l’opportunisme.
Conjonction dans l’excès de l’intégration ou de la différence...
Conjonction dans l’excès-même des capacités de mise en œuvre.
L’art contemporain, tel qu’on nous somme de l’appeler, qui à nos yeux n’est qu’une fraction isolée de l’art d’aujourd’hui, est totalement étranger à ces qualités que seul le temps permet de véritablement distinguer.
L’art contemporain se contente de revendiquer l’excès comme ayant en soi sa propre justification ; et jusque dans l’excès de sa mise en œuvre-même qu’il impose à tous.
En faisant de l’excès en soi le critère de sa propre justification, il s’arroge le pouvoir de décréter non pertinent tout ce qui s'en écarte, sous stigmate de médiocrité, d’imitation, d’opportunisme... Les impertinents n’ont plus qu’à se taire.
Quant au choix offert de l’intégration à la différence, l’art contemporain l’a réduit à la seule intégration de sa différence, et non pas (dérapage révélateur) de la différence, qu’il érige en justification nécessaire et suffisante de la pertinence de ses choix...
À considérer l’excès en soi comme seul et irrévocable gage de pertinence, l’art contemporain se coupe de l’immense richesse des sources diversifiées des possibles. En imposant par l’omniprésence-même de ses excès sa propre pertinence, il s’isole derrière une haute façade qui le coupe du monde... Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que de l’autre côté de ce qu’il perçoit comme un mur le public ait des réactions violentes ou excessives...
Il est triste que l’excès pour lui-même ait autant pris le pas sur l’équilibre naturel de l’éventail des possibles, excès compris... Et que ses tenants les plus endurcis ne cherchent, en fait, qu’à s’assurer contre l’accident !