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Lorsqu'il a commencé à peindre en 1956 Martian AYME ne pensait pas le moins du monde qu'un jour il en viendrait à imprimer avec son propre matériel ses propres textes, puis d'autres par la suite.
Il avait écrit quelque peu, étant étudiant, tout en réfléchissant à ce qui fonde l'écriture et lie les mots, le sens, et prose et poésie, celui qui écrit, celui qui lit ; et c'est sur ce terreau qu'il a, 20 ans plus tard, choisi et travaillé les dix textes de POÈMES RÉVOLTÉS (1977) où s'est affirmé, à partir de son approche de la poésie, son rapport au texte et à l'édition dont les maîtres-mots lui sont justesse et concision. Ayant fait quelques essais lithographiques il eut l'idée d'acheter quelques caractères typo pour imprimer son recueil en litho après tranfert sur pierre ; expérience peu concluante qui l'a amené à remiser sa bête à corne et à acheter une presse à épreuves entièrement manuelle. Le recueil est imprimé en 1977 sur MBM d'Arches, un papier assez fortement encollé, les poèmes sont imprimés alternativement en maigre et en mi-gras : vu le matériel dont il disposait c'était le seul moyen qu'avait l'artiste de tout pouvoir composer avant de commencer le tirage.
La même année l'ESSAI SUR LE DESSIN est écrit, il est trop dense pour pouvoir être encore élagué, eu égard au temps qui passe, trop long pour être composé à la main, il sera photocopié.
Cette expérience quelque peu traumatisante lui a fait affiner ses critères d'écriture et de choix d'imprimer : une concision sans faille, forme et sens cimentés sans compromis, mise en page sans concessions : l'ouvrage est UN du premier signe du titre, jusqu'aux fibres dernières qui épaulent le colophon ; jusqu'au choix assumé dès l'origine d'un seul caractère aussi neutre que possible l'EUROPE afin que la mise en page ne puisse être distraite par la joliesse d'une police.
Vient ensuite, CINQ BOIS POUR UNE AFFICHE (1981), porte-folio pour accompagner l'exposition à la librairie-galerie La Proue du Sang de l'Agneau, met l'accent sur cinq gravures sur bois en noir et blanc reprises d'illustrations du livre unique entièrement calligraphié et illustré de dessins à la main réalisé en 1978 et 1979. Les gravures sont le corps de ce recueil dans lequel le texte, de simples citations tirées du livre, est réduit à l'état de légendes. L'artiste avait gravé ces cinq bois pour les utiliser dans les affiches de l'exposition, les porte-folio ont été imprimés pour la plupart sur kraft blanchi, et pour quelques uns sur Ingres Canson de différentes couleurs.
Quatre ans plus tard, les textes de deux autres recueils de dix poèmes étant prêts, et n'ayant pas le temps de les imprimer séparément, il décide d'en choisir quelques uns, les plus courts et de les éditer sous forme de cartes postales en les accompagnant de vignettes anciennes (toutes les vignettes que lui avait données un imprimeur prenant sa retraite à qui il venait d'acheter une dizaine de casses : "..."tenez, je vous les donne, je prends ma retraite et je ne voudrais pas qu'elles tombent entre les mains de n'importe qui ; vous au moins, vous semblez aimer le métier..." ). POÈMES EN CARTES (1985) est imprimé pendant l'été, le tirage n'ayant dépendu que de la quantité de papier dont l'artiste disposait à l'époque !
Totalement à part, CARTES POSTALES ORIGINALES DEPUIS 1967 (1988 et suivantes) n'aurait jamais vu le jour si à l'époque l'artiste avait eu à sa disposition un ordinateur et une imprimante laser... C'est le seul ouvrage qui n'est pas reproduit : tout son contenu et plus encore est visible en couleur au chapitre "CARTES POSTALE".
En 1984 l'artiste s'est lancé dans une recherche approfondie de ce qu'il a été amené à dénommer « le monotype aveugle ». Recherche par la pratique d'abord, rapidement complétée par une réflexion sur les perspectives de la méthode allant, en quelque sorte, jusqu'à établir une philosophie de la création ; c'est ainsi qu'est né, sous forme d'essai, LE MONOTYPE AVEUGLE (1993), imprimé en grande partie sur BFK Rives.
Dans cet essai abondamment illustré l'artiste expose la technique, mais surtout en décrypte le fonctionnement, comme il l'avait fait pour le dessin, avec cette différence que le sujet étant mieux délimité, le texte était moins long, rendant l'impression manuelle au plomb possible ; même s'il a dû à plusieurs reprises redistribuer les caractères pour composer les pages suivantes.
Deux ans plus tard c'est le tour de LOUISE LABÉ, TROIS SONNETS, TROIS PORTRAITS (1995) où ce sont trois sonnets de Louise Labé qui « illustrent » tout simplement, dans l'édition normale sur Johannot, trois portraits de Louise linogravés par l'artiste. En revanche, dans l'édition de tête sur BFK Rives, les choses se compliquent car, conscient que la poésie vraie mérite plus qu'un simple survol il a désiré forcer le lecteur superficiel à entrer dans les sonnets phrase par phrase (dans une transcription moderne) avant de lui permettre de découvrir le texte originel.
En résonnance il a voulu qu'il en soit de même pour les différentes étapes qui ont mené par trois processus différents aux trois portraits, non pas pour lentement introduire aux images finales, mais pour en faire percevoir intuitivement l'intime organisation sous-jacente.
Nous étions avant 2000 ; tout ce que l'artiste a publié jusque là reste encore assez classique, au moins dans sa forme extérieure imprimée, car l'esprit qui a sous-tendu son travail a toujours été très personnel, en particulier si l'on considère la densité de ses textes, poèmes ou essais. Le temps est précieux pour le lecteur à qui l'auteur se doit d'éviter l'absurde gaspillage de la logorhée. On peut dans cette optique ajouter sans hésiter DITS DES DÉSIRS INCERTAINS (2000) sur Arches où, pour faire bonne mesure chaque dessin a comme sécrété son propre texte ; chaque image et son texte en intime correspondance sur chaque double page forment un tout, indissociables.
En filiation implicite avec le livre de 1995, s'est imposée la réalisation d'un, puis de plusieurs petits livres d'artiste où le texte devait « se mériter », non plus sous forme d'un dévoilement progressif du verbe, mais dans la mise en place même de sa typographie, en recherche d'elle-même en quelque sorte... Le premier : BRUIT LÉGER (2000) s'est imposé, nous l'avons dit, mais d'une façon tellement inattendue qu'il a bien failli n'être réalisé qu'à un unique exemplaire : surprise de quelques essais aléatoires sur Johannot qui en ont entrainé d'autres, et puis dans le travail même l'organisation interne d'un tout qui se fait jour... Surprise d'un ouvrage surgi de nulle part, involontaire.
Ce premier ouvrage où l'ensemble, texte, typographie et gravures était conçu comme un tout en devenir sur la base d'une typographie initialement trop petite qui en de successives tentatives cherchait, puis trouvait son juste corps pour se perdre enfin dans le blanc du papier tout en dialoguant avec les métamorphoses de l'image, en a dans l'instant appelé un autre.
SOUS LE CORPS NU (2000), toujours sur Johannot, projet bien affiné cette fois avant d'être réalisé, a repris le même schéma d'unité en progression globale, mais en inversant la recherche du juste équilibre à partir de caractères trop grands, trop gras... Enflure typographique qui déborde de la page rendant le texte illisible. Enflure qui plie, corps après corps, graisse après graisse devant l'espace disponible jusqu'à trouver enfin sa mesure.
Un an plus tard, alors que se fait jour un projet à long terme portant sur un ensemble de six petits livres (les trois derniers, dont les maquettes sont presque terminées, devraient voir le jour en 2011 et 2012), QUELCONQUE (2001) ne se contente plus d'ajuster la taille des lettres, mais à en organiser presque mot à mot leur désordre initial en même temps qu'évoluent les valeurs de gris de l'encre, et jusqu'au noir et au blanc, du texte et de la succession des fonds et des gravures. Le texte encore une fois se mérite : par le jeu de plusieurs passages, jusqu'à cinq sur la même page, il se détache parfois peu de la page. Ralentissant la lecture il appelle l'attention et les retours en arrière et peut prendre ainsi le temps de pénétrer l'esprit du lecteur ; un texte aussi court ne peut se satisfaire d'une simple lecture de ses mots.
POÈMES À VRAI DIRE (2006) : toujours l'intime correspondance entre texte et image par double page, chaque image et son texte aussi absolument inséparables que la chair et son sang. Mais pour autant il n'apporte de vraiment nouveau que le travail en commun avec Ergon aux dessins sérigraphiés par leur auteur qui ont suggéré à Martian Ayme les textes qu'il a lui-même typographiés.
Après l'ouvrage ci-dessus plusieurs autres projets auraient dû être menés à bien, dont certains sont déjà bien avancés ; mais fin 2008 l'annonce du concours de livres minuscules du Musée de l'imprimerie de Lyon a, d'une façon imprévue apporté la réponse évidente à un problème que se posait l'artiste depuis plusieurs années, à savoir comment éditer une suite de définitions sous forme d'abécédaire. Il lui restait alors, toutes affaires cessantes à écrire les textes, à imprimer et à relier l'ensemble sous le titre évocateur d'ABC D'IRE (2009)
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