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Martian AYME de LYON, linograveur
C. SÉE ( 2010)
Martian AYME de Lyon, linograveur.
Texte inédit de Catherine SÉE (2010)


Martian AYME de LYON, linograveur




La linogravure, technique « enfantine » pour beaucoup, puisque pratiquée dans les ateliers pour enfants est bien loin de n'être que cela. Pratiquée par de nombreux artistes, bien que d'une façon souvent sporadique, elle leur a permis de créer des oeuvres de grande qualité. Et elles n'ont rien d'enfantin, ni dans la conception, ni dans le travail de taille, ni dans le rendu professionnel de l'impression.
D'aucuns se contentent, hélas, de jouer des facilités que donne ce médium.
Martian AYME, de toute évidence n'est pas de ceux-là.

L'esprit de la taille d'épargne.

lI est arrivé à la linogravure par la gravure sur bois, technique dite "noble" par rapport au peu de cas que beaucoup font, à tort, de la linogravure. C'est en transposant, et non en cherchant à reproduire (distinction essentielle), en bois gravés tirés en noir et blanc certains de ses dessins au trait, et en étudiant précisément la progression de son travail en imprimant des épreuves d'états qu'il s'est immédiatement aperçu de l'importance majeure des rapports entre les « formes noir d'encre » et le blanc lumineux ou légèrement teinté du papier par rapport à la simple linéarité du trait originel. Le dessin, c'est le trait ; la gravure en taille d'épargne, elle, est affaire de surfaces, le trait n'y est rien, tout est dans le jeu mystérieusement organisé entre des aires d'ombre comme oubliées par la taille et celles de lumière otées par gouges et canif ; jeux d'ombre et de lumière arrachés à la matière...

Du bois au lino.

Vu l'orientation de son travail, les qualités propres au bois de fil se sont bien vite révélées une contrainte inutile plutôt qu'un levier de création. La précision du rendu éventuellement meilleure avec le bois en regard de la différence de résistance selon le sens de la taille qui requiert une tension et une attention bien plus grandes n'a pas été suffisante pour justifier pleinement le choix du bois. La difficulté de se fournir en plaques de qualité a aussi été prise en compte.
C'est donc tout naturellement que l'artiste s'est tourné vers le linoleum, le vrai, celui de nos aïeux, fait de liège et d'huile de lin cuits sur un support de jute. Ce lino, qu'il a dû faire venir d'Allemagne (!) est, contrairement aux idées reçues, tout aussi résistant à l'impression que le bois, mais autrement plus docile aux sollicitations de l'outil...
Les bois étaient de petite taille (15 x 10 cm) ; après quelques essais de linogravures plus grandes, jusqu'à 56 x 76 cm, l'artiste est progressivement revenu aux petits formats plus en accord avec l'orientation de ses recherches.
Imposer un style n'avait pas le moindre attrait pour lui ; en revanche affiner un travail de recherche sur les possibilités offertes par le lino, et cela jusque dans les moindres détails, lui est apparu d'un évident intérêt.

Linogravure polychrome.

C'est l'époque où Martian AYME a commencé à travailler la carte postale d'artiste, conçue comme estampe originale. C'est probablement ce qui a accéléré à la fois l'approfondissement du travail par la multiplication des états et le passage à la linogravure polychrome. Passage ô combien naturel dans ce contexte, d'abord en usant de plusieurs plaques avec des clichés typographiques au trait avant d'expérimenter à partir de 1990 avec la série Starlaide 257 l'impression à plaque perdue. C'est cette technique qu'il privilégie de plus en plus souvent soit pour des gravures polychromes complexes comme ses participations au Bestiaire et à Frontière édités par L'Empreinte, ou des séries plus conséquentes, comme La Dame de Chamalières dont l'ensemble imprimé en 2006 comprend 251 états et plus de 600 épreuves dont un certain nombre comportent 6, 7 et jusqu'à 8 passages.

Linogravure à plaque perdue.

Le travail à plaque perdue consiste à travailler avec la même plaque en imprimant les différents passages au fur et à mesure de la progression de la taille. Il permet un repérage exact d'un passage à l'autre, seul garant d'une bonne définition de l'image finale ; même s'il présente des contraintes assez fortes, en particulier l'impossibilité de revenir en arrière dans le processus de taille, celles-là sont finalement peu importantes par rapport aux avantages. Il est évident que le choix du papier, papier chiffon utilisé à sec, est de la plus grande importance. De la plus grande importance sont aussi la température de l'atelier : la bonne fluidité de l'encre est à un ou deux degrés près, et son hygrométrie qui joue avec les dimensions du papier. Or il est fréquent que les différents passages de certaines épreuves s'étalent sur 6 mois comme dans le cas de La Dame de Chamalières...

Le respect du linoléum.

Le linoléum que l'on dit si facile, vulgaire même, serait-il digne d'une telle attention ? Tout dépend de l'artiste et de son approche du matériau. Dans le pire des cas seule la facilité de mise en oeuvre compte : approche récréative en quelque sorte, qui se voudrait expressionniste et qui n'est que gesticulatoire.
Martian Ayme, quant à lui, apprécie pleinement la plasticité, toute relative d'ailleurs, de ce matériau pour ce qu'elle lui apporte de liberté dans la mise en oeuvre précise et concertée de ses recherches. Car il ne s'agit que de cela : la création ne pouvant en aucun cas faire l'impasse sur le matériau, l'intérêt profond de l'artiste (la notion de plaisir étant par essence hors sujet) réside dans la connivence respectueuse qu'il entretient avec lui, dialogue toujours renouvelé qui n'a de cesse de dénouer les problèmes chaque fois nouveaux et toujours essentiels que pose chaque nouvelle tentative d'élaborer une image qui ne doive qu'à elle-même sa propre gestation. Un respect profond du médium, une précision et une patience d'orfèvre marquent de leur coin la spécificité de sa démarche.

Le temps de la recherche.

Six mois sur la même plaque ; une tendinite en prime, tant les gestes du tirage sont "tendus" ! Pourquoi ? La réponse est simple, et on la trouve déjà en germe dans la séries de cartes La Danse de 1983. Série de 22 cartes en linogravure et collage dans laquelle seuls les collages diffèrent : au commencement l'artiste cherchait simplement sa meilleure et unique solution pour exprimer la danse ; ne pouvant choisir "l'unique", il en a gardé 22 sur une centaine d'essais. Quelques années plus tard, lors d'un salon, alors qu'une jeune danseuse hésitait "plus que de raison" il lui demanda pourquoi, et la réponse fut : "Je n'hésite pas entre les cartes, mais entre les ballets qu'elles représentent pour moi".
Dans ces conditions, quelle est la justification d'une image "aboutie", choisie par l'artiste comme étant "l'unique" digne de lui ?
C'est à cette question que répond Martian Ayme lorsqu'il traque dans la durée, recherchant, taille après taille, potentialités successives, superpositions et transparences les images chargées de sens que lui fait entrevoir la progression de son travail. C'est à cette question qu'il répond en disant haut et fort que le linoléum, tout comme les autres techniques d'ailleurs, n'a pas encore donné à voir tout ce qu'il porte en lui. À ceux qui, quelles que soient les techniques, ne jurent que par leur renouvellement perpétuel pour cause d'usure, il répond qu'elles ont encore de beaux jours devant elles chez ceux qui ne se laissent pas éblouir par la nouveauté, ou anesthésier par la confondante sécurité de la redite.

C. Sée (mars 2010)