02___bib/02-dhl77 Martian AYME de LYON/Peintre et graveur
Dernière Heure Lyonnaise (1977)
Dernière Heure Lyonnaise
Par René DÉROUDILLE
Dernière Heure Lyonnaise (1977)


...Et si on parlait un peu de dessin !..

“Le dessin est une abstraction” affirmait Cézanne dans un de ses aphorismes d'une lucidité extrême? Phrase qui aurait pu être inscrite en exergue sur la première page de la remarquable étude de Martian Ayme (1) consacrée à la création graphique. Dans ces lignes, particulièrement “serrées” et lucides, l'excellent peintre du Salon d'Automne et de “l'ami Peter”, précise ses idées sur le dessin et montre, à la suite d'une analyse profonde et rigoureuse les secrets de cette langue poétique née des arcanes les plus secrets de l'être.

On se rappelle, sans doute, les mots de Sérusier conseillant à ses élèves de concentrer leur attention sur le modèle en leur précisant la nature même du dessin à savoir “l'idée de l'objet avec un trait autour”. On se souvient également de la “condensation des sensations” chère à Matisse, et, aussi des formes dessinées par le grand peintre fauve, transcrites au moyen d'un trait.

On regrette, avec André Mure, que l'édition ne soit pas développée dans notre ville et que le travail de Martian Ayme ne soit tiré seulement qu'à cinquante exemplaires, car il conviendrait de répandre autour de soi, cette somme capable de permettre aux yeux de se dessiller, aux amateurs et aux curieux de réfléchir sur cette langue directe assimilée, par nous, aux paroles du poète.


Trait pur et dessin en soi

L'intérêt de la réflexion de Martian Ayme, au cours de ces dernières vingtaines d'années a permis au peintre esthéticien de distinguer ce qu'il appelle le “trait pur” à savoir les pulsions qui s'emparent du créateur et l'obligent à s'évader des signes convenus, pour découvrir de plus fidèles moyens d'expression. A-t-on besoin de préciser que cette ligne s'avère d'une abstraction totale puisque jamais sur le modèle objectif (prenant point d'appui sur la nature) ou subjectif (né de l'imagination totale) il n'existe véritablement de contour, ce qui faisait dire à Cézanne que celui-là le fuyait.

Mieux, et nous l'avons souvent remarqué, le dessin imaginaire obéit à des lignes continues comme si le créateur avait besoin de cette continuité pour ne pas abandonner son image mentale, tandis que l'étude dessinée, faite sur nature, utilise des traits discontinus, d'abord, parce que le dessinateur a son modèle devant lui, et, aussi parce que les phénomènes lumineux subis par le prétexte, rompent la cohésion du contour.

Ce qui nous a étonné, et surtout vivement intéressé dans les réflexions de Martian Ayme, c'est d'apprendre que pour atteindre une vibration, capable de donner plus de présence à son travail, le dessinateur lyonnais utilisait des crayons de différentes couleurs. Ainsi, c'est Martian Ayme qui parle : “Certains rapports vibrent plus que d'autres comme par exemple ceux qui participent du jaune et du vert”.

Toujours, selon les observations méticuleuses de l'auteur, la suggestion ombre-lumière se révèle plus intense grace à ces traits colorés. Le clair obscur n'est pas écrit mais, le trait en couleur fournit à la fois contour, ombres et lumières comme émanant de la surface ainsi qu'il en est dans la réalité.


Une définition du dessin

L'interrogation de Martian Ayme répond aux préoccupations de tous ceux qui ont pensé le dessin et n'ont pas toujours su aller plus loin que sa pratique plus ou moins académique vivant de formes empruntées. Pour l'artiste lyonnais l'artiste engendre le dessin de la même manière que la matère commande sa forme. C'est dire d'abord, la rigueur expressive de ce langage qui refuse les idées reçues et les éléments formels académiques pour assigner à chacune de ses actions, tendant à traduire l'univers personnel de l'artiste, un signe étranger à tout symbole pétrifié par l'usage.


L'objet autre

C'est pourquoi Martian Ayme distingue, avec infiniment de lucidité et de clairvoyance, ce qu'il nomme “l'objet autre”. En effet s'il existe un “objet initial prétexte” celui-ci est, comme l'ont montré les impressionnistes, plus “su” qu'observé. On ne voit pas véritablement la forme et le contour d'un être ou d'une chose : on se réfère à des notions pratiques capables de nous dire la main, les yeux, la bouche, etc... L'artiste voit autrement. En principe il refuse tout “savoir” pour tenter lui-même de voir et de ressentir l'univers visé. Cette appréhension différente et cette approche singulière devront être transcrites dans l'oeuvre dessinée relisant ainsi, à partir du modèle initial, un objet “autre” comme le prouvent, par exemple, les croquis des “demoiselles d'Avignon” 1907 dessinés par Picasso. Le créateur du cubisme s'est éloigné d'un dessin convenu pour réaliser le sien ; personne, ou presque n'a pu accepter “l'objet autre” répondant à sa perception artistique, dont il entend donner une image.

C'est le moment, pour Martian Ayme de montrer combien il est nécessaire d'utiliser des moyens différents et, de répudier tous les procédés, tous les symboles déflorés, dont nous découvrons, chez tant d'artistes les témoignages éculés.

À ce point de son analyse Martian Ayme se garde de donner des conseils ou des recettes. Il ne veut pas retomber dans les errements de l'enseignement du dessin ou de toute autre formule artistique. Ici commence la véritable aventure créatrice qui s'avère particulièrement difficile puisque nous le répétons souvent “l'artiste est celui qui entend une langue sans entente” selon les propos de Maurice Blanchot. Au sein de ce désert intellectuel il s'agit pourtant de manifester et, la manifestation sera d'autant plus périlleuse qu'elle entraînera le créateur hors de tous les sentiers battus.

La transmutation (le terme est de Martian Ayme) ne peut avoir lieu que grace au “dessin autre”, c'est-à-dire celui dont les formes, jamais aperçues, définiront envers et contre tout, l'assertion originale à un moment donné de l'histoire et la genèse, toujours dynamique, de l'expression artistique. “L'essai sur le dessin” permet une approche différente de la poésie graphique.



René DÉROUDILLE